Distributeurs et exploitants de salles
Quand Hollywood dominait la distribution
Le contrôle américain du marché de la distribution au Québec remonte pratiquement aux origines du cinéma. Déjà en 1908, Léo-Ernest Ouimet s’était fait ravir la distribution des populaires films Edison par la Kinetograph Co. de New York. Dans les années 1910 et 1920, alors que les films américains occupent presque toute la place sur les écrans du Québec, les filiales locales des distributeurs liés aux grands studios hollywoodiens dominent le marché. Les compagnies de distribution tissent de plus des liens assez étroits avec les grands réseaux de salles qui se forment à cette époque. La Regal Films, qui distribue notamment les films MGM, est par exemple dirigée par Henry Nathanson, frère de Nathan L. Nathanson de Famous Players. L’activité des quelques distributeurs indépendants toujours actifs au tournant des années 1930, tel le Film de Luxe de Télésphore Latourelle, demeure au mieux marginale.
Le cinéma français trouve sa place
L’arrivée du parlant contribue d’abord à renforcer la mainmise américaine sur le marché du film. Les studios hollywoodiens sont en effet les premiers à pouvoir fournir en continu des films sonores et parlants aux salles de cinéma. Des entrepreneurs francophones ne tardent cependant pas à profiter des opportunités offertes par cette nouvelle technologie. En effet, l’arrivée du parlant accentue au Québec la demande pour du cinéma en français, un segment du marché où la position des compagnies américaines est loin d’être dominante – malgré les efforts de certaines en ce sens.
En juillet 1930, le Français Robert Hurel vient représenter les producteurs de l’Hexagone au Québec. Dès le mois suivant, il fonde la Compagnie cinématographique canadienne, dont l’adresse télégraphique, France-Film, lui restera comme nom. Hurel arrive au Québec avec trente films, qui sont d’abord projetés au Saint-Denis avant de tourner en province.
L’éditeur de romans populaires Édouard Garand fonde pour sa part Les films des Éditions Édouard Garand en mai 1931. La firme prospère du fait de la demande croissante pour les films français. Deux ans plus tard, J.A. DeSève se joint à la compagnie. Il en prend bientôt le contrôle et la renomme Franco-Canada Films. En septembre 1934, comprenant qu’entrer en concurrence avec France-Film serait suicidaire, DeSève prend l’initiative d’une fusion. Les bases d’un empire viennent d’être jetées. France-Film va dominer la distribution du film en français pendant trois décennies.
Sous la direction de DeSève, France-Film réussit à damer le pion à la puissante Famous Players lorsque cette dernière tente de s’emparer du marché du film français. De concert avec le distributeur Regal Films, qui a acquis les droits de plusieurs films français, Famous Players tente en effet de mettre sur pied son propre réseau de diffusion de films en langue française en 1938. Regal fait pression sur les exploitants indépendants en menaçant de cesser de leur fournir des films s’ils ne se joignent pas au nouveau réseau. Les frères Nathanson sont cependant confrontés à la dure réalité québécoise lorsque plusieurs de leurs films vedettes, dont Pépé le Moko (Julien Duvivier, 1937) et Orage (Marc Allégret, 1938) se voient refuser leur permis d’exploitation par le Bureau de censure. Face à ces difficultés, Famous Players et Regal battent en retraite et concèdent le marché du film français à France-Film. Beaucoup plus à l’aise avec les institutions et le marché de la province, cette dernière exploite avec succès les films acquis par Regal, après les avoir coupés et fait approuver par les censeurs.
Du côté de l’exploitation
La conversion des salles de la province de Québec au cinéma sonore et parlant est facilitée par l’intégration du marché québécois à l’industrie nord-américaine. À Montréal, la plupart des salles se dotent d’équipements sonores entre l’été 1928 et l’automne 1929. À la fin de 1931, au moment où les studios hollywoodiens annoncent la fin de la production de films en versions muettes, la grande majorité des salles de cinéma québécoises commerciales sont équipées pour le parlant.
Un monopole ?
L’arrivée du parlant favorise les grandes chaînes, puisque, d’une part, elle rend vétuste les salles indépendantes mal adaptées à la reproduction du son et, d’autre part, augmente les frais d’installation et d’exploitation des salles de cinéma. La compétition s’en trouve ainsi réduite. Or, la situation était déjà loin d’être brillante pour les indépendants à la fin du muet. La chaîne Famous Players, filiale de la Paramount américaine, gère au tournant des années 1930 la presque totalité des palaces des grandes villes du Canada, dont les distributeurs ne peuvent se passer pour lancer leurs films. La chaîne peut dès lors dicter ses conditions aux distributeurs, et ainsi faire la vie dure à ses compétiteurs.
La domination du marché canadien par Famous Players est telle qu’une commission d’enquête fédérale se penche en 1931 sur les activités de la compagnie. Le commissaire Peter White conclut dans son rapport que les activités de Famous Players sont bel et bien monopolistiques. Cependant, Famous Players se tire sans trop de mal de cette affaire : un tribunal décide en effet l’année suivante que son monopole ne porte pas préjudice au public canadien, et refuse par conséquent de condamner ses pratiques.
De grands réseaux québécois
Quelques réseaux de salles québécois parviennent malgré tout à tirer leur épingle du jeu face à Famous Players. La United Amusement de George Ganetakos reste un exploitant indépendant très important dans la région montréalaise au cours des premières décennies du cinéma parlant, en se spécialisant dans la présentation de films en reprise dans les quartiers périphériques de la métropole. Par ailleurs, en 1938, l’entreprise de Ganetakos prend le contrôle de la Confederation Amusements dirigée par les familles Lawand et Tabah, qui ne bénéficiait pas de son accès privilégié aux productions américaines. Pour finir, Ganetakos fera construire plusieurs salles à la fin des années 1930 et dans les années d’après-guerre.
France-Film devient également un exploitant important. La compagnie prend le contrôle dans les années 1930 du Théâtre Saint-Denis, sa salle la plus prestigieuse, et de plusieurs autres salles situées à Montréal, Québec, Sherbrooke et Trois-Rivières.
Hors de Montréal, Québec et Sherbrooke, la majorité des salles appartiennent à des entrepreneurs indépendants. Le réseau de Léo Choquette, qui prend de l’importance à partir des années 1940 demeure le meilleur exemple à cet égard.
Un nouveau compétiteur pour Famous Players
À partir de 1941, Famous Players doit par ailleurs composer avec un nouveau compétiteur ayant des ambitions nationales, la Odeon Theatres of Canada. Cette dernière est contrôlée par des intérêts britanniques, même si son siège social se trouve comme celui de Famous Players à Toronto. En 1945, Odeon fait son entrée au Québec en achetant plusieurs salles situées à Montréal et en région. Les salles Odeon québécoises cibleront plus particulièrement le marché francophone, notamment par la présentation de films américains doublés en français.
Les salles
Une page de l’histoire des salles de cinéma se clôt en 1938 avec la construction du dernier « palace » au sens strict : le York de Montréal, un cinéma de 1 100 places situé sur la rue Sainte-Catherine. Comme la plupart des salles construites au cours des premières décennies du parlant, le York se démarque toutefois des palaces construits au temps du muet par son architecture et sa décoration : un style moderne, le streamline, y remplace en effet le mélange d’emprunts aux styles classique, baroque et rococo typiques des cinémas des années 1910 et 1920.
Les nombreuses salles construites entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’arrivée de la télévision seront généralement plus modestes, particulièrement en région. Plusieurs salles construites à cette époque utilisent des structures préfabriquées de type
« Quonset » développées pendant la guerre.
Le nombre de salles de cinéma au Québec croit rapidement pendant la seconde moitié des années 1940. On en compte 304 en 1949. L’exploitation commerciale atteint un sommet inégalé en 1952 : 60 millions d’entrées, soit une moyenne de 14,3 entrées par personne pour l’année. Cependant, elle décline dès 1953 et n’est plus que de 38 millions en 1955. C’est le début de la fin pour les salles à écran unique, qui seront rapidement remplacées à partir des années 1960 par les multiplexes.