Le cinéma des religieux
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Maurice Proulx filmant un agriculteur pour son film Les Ennemis de la pomme de terre (1949).
Source : Cinémathèque québécoise 2006.0344.PH
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Portrait photographique de Jean-Philippe Cyr.
Source : Cinémathèque québécoise, 2000.0206.PH.01
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Couple de paysans dans Hommage à notre paysannerie (Albert Tessier, 1938).
Source : Cinémathèque québécoise, 1995.6023.PH.01
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Albert Tessier à l’œuvre.
Source : Cinémathèque québécoise, 2000.0050.PH.01
Des clercs et des sœurs cinéastes
Pourquoi des prêtres et des religieuses se mettent-ils à réaliser des documentaires et même des films poétiques dès les années 1930, tout en sachant que les autorités officielles de l’Église catholique continuent à se méfier du cinéma ? C’est qu’ils ont compris qu’un simple film peut valoir bien des sermons, et qu’en outre il peut toucher beaucoup plus de personnes. Leurs initiatives sont d’ailleurs bientôt encouragées par leurs supérieurs, qui aimeraient bien, par ce moyen, conserver leur emprise sur l’imaginaire collectif.
Des amateurs passionnés
Ces artisans qui n’ont jamais travaillé avec des professionnels sont guidés par la passion de l’image. Leurs films sont des initiatives personnelles — quelques rares fois ils sont le fruit d’une commande d’une institution — marquées par le désir de se servir de moyens de propagande plus modernes et plus efficaces. En guise d’apprentissage de la technique, la plupart des clercs et des religieuses cinéastes doivent se contenter du manuel d’instruction de la caméra ou des conseils d’un ami. Ils empruntent divers styles, surtout le documentaire, et se spécialisent dans certains domaines qui intéressent un large public, comme l’éducation, la nature, la religion. Beaucoup aiment conclure leurs productions avec un beau coucher de soleil.
Des historiens et des anthropologues qui s’ignorent
Les films de ces amateurs passionnés ont une grande valeur patrimoniale. Ils sont souvent les seuls témoins cinématographiques de beaucoup d’événements de leur époque, des façons de faire, des modes vestimentaires, de certaines festivités, de la vie au quotidien, etc. Surtout, ils éclairent en partie sur ce qui se passait à l’intérieur des couvents et des communautés. C’est le cas, par exemple d’À la croisée des chemins de Jean-Marie Poitevin.
L’un des tout premiers artisans, Albert Tessier, se fait illustrateur des beautés de la nature, chantre des valeurs paysannes, défenseur de l’éducation « moderne » pour les jeunes filles. Dans le même esprit, Thomas-Louis-Imbeault (1899-1984), professeur de collège puis curé, entend révéler les beautés de la région de Charlevoix, du Saguenay, de l’Île aux Coudres. À Chicoutimi, Léonidas Larouche (1907-1991) filme aussi de nombreuses images de la région et du Québec ; il possède même un studio de son.
Maurice Proulx, de par son métier de professeur d’agronomie, a des objectifs concrets d’enseignement, sans perdre de vue un certain prosélytisme pour les valeurs chrétiennes. Des visées essentiellement pédagogiques animent également J-Albert Caron (Père Venance, capucin, 1895-1966), biologiste et professeur, qui réalise de nombreux documents sur les sciences naturelles. Le frère Adrien-Rivard de la Congrégation de Sainte-Croix (1890-1969), botaniste, fondateur des Cercles des jeunes naturalistes, disciple du frère Marie-Victorin, agrémente ses rencontres et ses conférences de nombreux films sur la flore.
Même des sœurs s’y mettent
Dès les années 1930, des religieuses de plusieurs communautés ne se contentent plus de leur statut de consommatrices de films pieux, elles décident d’en fabriquer elles-mêmes. Leur production est de trois ordres, ainsi que le rapporte l’historienne féministe Jocelyne Denault : d’une part, des « films de recrutement », qui ont pour but de susciter des vocations et assurer le remplacement des religieuses dans les institutions qu’elles animent ; d’autre part, des « films souvenirs » qui, comme la plupart des films amateurs sont des sortes d’albums de famille ou l’enregistrement d’événements significatifs destinés à relater l’historique de la communauté ; enfin, des « films prières », qui ne sont pas dénués d’une certaine poésie, où des images de la nature et d’objets pieux sont accompagnées de textes religieux. Certaines de ces « réalisatrices » ont appris les rudiments de leur art dans des leçons d’Herménégilde Lavoie.
De la même manière que les missionnaires du passé, tels les Jésuites avec Les relations des Jésuites, correspondaient avec leurs supérieurs et leurs mécènes en leur communiquant tout ce qu’ils observaient sur les « sauvages » de la Nouvelle-France, des prêtres tels Louis-Roger Lafleur et Maurice Proulx filment dès les années 1930, des documentaires décrivant la vie des autochtones en divers lieux. La valeur de ces documentaires est indubitable, surtout parce qu’ils correspondent à un effort pour réhabiliter l’image des Premières nations.
Des films beaucoup vus
Ces films n’ont jamais été présentés dans les salles commerciales. Alors, qui les a vus ? Ils ont été visionnés par des centaines de milliers de jeunes dans les écoles, les paroisses, les couvents et les pensionnats. En outre, très souvent, les spectateurs avaient la chance de rencontrer les auteurs qui venaient bonimenter leurs productions devant eux.