Les Canadiens français à l'ONF
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Roger Blais sur un plateau d'un tournage.
Source : Cinémathèque québécoise, 2007.0071.PH.02
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Portrait photographique de Raymond Garceau.
Source : Cinémathèque québécoise, 2000.0054.PH.02
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Image du film L’homme aux oiseaux (Bernard Devlin et Jean Palardy, 1952).
Source : Cinémathèque québécoise 1999.0008.PH
À son entrée en poste, en 1939, le fondateur de l’Office national du film du Canada, John Grierson, estime qu’il est inutile de réaliser avec des moyens importants des films destinés uniquement aux Canadiens français. Par conséquent on ne procède pas à l’engagement de cinéastes francophones. C’est un responsable de la distribution et seul francophone de l’organisme, Philéas Côté, qui sensibilise Grierson en décembre 1941 à la nécessité de fournir au public canadien-français des films qui correspondent à ses particularités. L’ONF engage alors un premier réalisateur canadien-français, Vincent Paquette et lui confie la direction du bureau de Montréal. Dès 1942, Paquette recrute quelques collaborateurs (Jean Palardy et Jean-Yves Bigras par exemple), prend en charge la production de versions françaises et développe un programme de production en français (la série « Les Reportages »). L’embauche de personnel tout au long de l’année 1943 fait en sorte qu’on atteint bientôt une certaine masse critique, une quinzaine de personnes, environ le sixième du personnel de l’ONF, et un studio francophone. La série « Les Reportages » leur permet de traiter de manière spécifique de la vie au Québec en temps de guerre. En 1944, l’ONF recrute même une personne pour conseiller le commissaire en matière canadienne-française, superviser la production et la distribution de films en français et engager le personnel nécessaire. En douze mois, l’équipe de réalisation s’enrichit de six réalisateurs (dont Roger Blais, Raymond Garceau, Pierre Petel et Bernard Devlin). Malgré tout, sur douze studios, un seul a une mission francophone et sur les quelque 147 employés qui forment le personnel de production, seuls 25 sont francophones.
Durant la guerre, les francophones réalisent donc une centaine de films qui leur permettent de rendre visibles leur pays, leur société, les gens qui ne l’étaient pas avant. Toutefois, fin 1944, début 1945, sous le prétexte de faire travailler les cinéastes inexpérimentés (entendre : francophones) avec des gens d’expérience et de ne pas les confiner à un milieu dans lequel ils ne pourraient pas évoluer, l’ONF décide de mélanger les francophones aux anglophones à l’intérieur de mêmes studios. Les cinéastes canadiens-français voient donc se restreindre la possibilité de tourner des films dans leur propre langue. La place du français n’est assurée que par les versions. Pour ce qui est du reste, la situation empire. Moins bien payés que leurs collègues anglophones, ne recevant aucun encouragement et se voyant limités dans leur accès à la production, plusieurs Canadiens français quittent l’ONF. Une réorganisation entraîne en 1948 la dissolution du studio français. Les Canadiens français sont désormais noyés dans la structure et, en accroissant le doublage, la direction a la conviction de combler les besoins des francophones ; conséquemment elle n’encourage pas le développement d’une production originale qui sera pratiquement éliminée.
En 1950, le conseil d’administration estime que l’ONF, pour maintenir une production de haute qualité cinématographique, doit être situé dans une ville où la vie culturelle est intense. Il recommande Montréal. Le premier ministre Louis St-Laurent l’appuie. Au même moment, plusieurs revendications quant au nombre de films francophones sont formulées devant la commission Massey. La direction de l’ONF trouve cependant que leur coût est disproportionné par rapport à la population restreinte. L’argument des coûts semble primer celui des droits culturels.
De fait, en 1952, on constate que les cinéastes francophones sont en situation d’assimilation, ce qui est renforcé par leur immersion structurelle. Mais cela ne veut pas dire qu’ils se résignent et qu’eux-mêmes ou des intervenants extérieurs ne poussent l’ONF au changement. En 1953, pour répondre aux besoins de la télévision, Roger Blais prend la tête d’un studio chargé des films en français. Afin de contrer l’opposition de hauts cadres anglophones, le conseil d’administration décide de créer en 1954 le poste de French Adviser qui doit être fusionné avec celui de secrétaire du conseil. Pierre Juneau, le premier à ce poste va encourager davantage de productions en français.
En 1955, débute une intense campagne de presse pour dénoncer la situation des Canadiens français à l’ONF. Il en résulte trois mesures : la création d’un deuxième studio pour s’occuper de toutes les versions françaises, le recrutement d’un producteur exécutif pour le programme français et le renforcement de l’équipe par un apport de cinéastes étrangers (Georges Dufaux, par exemple). L’effet de ces mesures se fait sentir après le déménagement de l’ONF à Montréal en 1956. En effet, tant que l’ONF était à Ottawa, les Canadiens français avaient une conscience restreinte de leur identité et de leur spécificité. Néanmoins cela ne les empêchait pas, à l’occasion, d’affirmer dans leurs œuvres des contenus qui correspondent à la culture, à la mentalité et aux valeurs de la société canadienne-française. Ils s’étaient donc regroupés en équipe pour répondre à la nécessité de produire un certain nombre de films en français. En même temps, ce geste leur avait permis de travailler ensemble, de se donner une certaine cohésion, d’administrer une partie de leurs affaires et de faire valoir de plus en plus leurs revendications. En fait, ils avaient appris à utiliser leur autonomie relative au sein de l’organisme d’État qu’est l’ONF dont ils bénéficieront après 1956.