Les Amérindiens
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Grew Owl's Little Brother (Gordon Sparling, 1932).
Source : Cinémathèque québécoise, 1995.1367.PH.01
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La Patrie, 1 septembre 1946, p.65
Source : Bibliothèque et Archives nationale du Québec
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Paul Provencher derrière la caméra.
Source : Cinémathèque québécoise, 2000.0282.PH.04
Le cinéma s’est le plus souvent contenté au temps du muet de perpétuer de nombreux clichés et stéréotypes, le plus souvent négatifs, au sujet des Amérindiens. Si le travail des cinéastes documentaristes au cours de la période s’étirant de 1930 à 1952 permet de jeter un nouveau regard sur la réalité des premières nations, le cinéma de fiction de ces mêmes années continue de renforcer les stéréotypes.
Dans le cinéma hollywoodien, les
« Indiens » se retrouvent le plus souvent du côté des « méchants ». Montrés comme des êtres taciturnes et violents, ils sont prêts à s’élancer à la moindre occasion sur le sentier de la guerre contre les Blancs. En outre, l’Indien ne devient un personnage positif que lorsqu’il se met au service des Blancs. De nombreux films mettent ainsi en scène des Indiens agissant à titre de guides pour des Blancs, ou encore des femmes indiennes se sacrifiant héroïquement pour l’homme blanc qu’elles aiment.
L’Indien imaginaire
La représentation des premières nations dans le cinéma de fiction n’est ainsi pas seulement négative : elle est aussi le plus souvent fausse. Leurs modes de vie sont, au mieux, un amalgame impossible de détails inspirés des traditions de diverses tribus et, au pire, une pure fabrication. De toute évidence, le principal référent d’Hollywood n’est pas la réalité des premières nations, mais la tradition établie par toute une série de spectacles, allant des Wild West Shows (ces grands cirques en plein air à thématique western) au répertoire théâtral du tournant du siècle. Les protagonistes du film Rose-Marie (W. S. Van Dyke, 1936) croisent ainsi au nord de la ville de Québec des Indiens portant de vastes coiffes de plumes inspirées des tribus des plaines, sculptant d’immenses totems vaguement inspirés de ceux de la côte du Pacifique, et utilisant dans leurs rituels d’immenses tambours tout droit sortis d’une revue de Broadway.
Certaines œuvres de fiction prétendent néanmoins offrir un portrait plus réaliste. À cet égard, The Silent Enemy (H.P. Carver), sorti sur les écrans en 1930, est un cas probant. Produit par William Douglas Burden, un explorateur et ethnologue diplômé de Harvard, ce film situé à l’époque pré-colombienne raconte l’histoire d’une bande d’Ojibwés victime de la faim, cet « ennemi invisible ». Produit entre 1927 et 1929 dans le Nord-Est de l’Ontario et au Témiscamingue, The Silent Enemy bénéficie de l’expertise ethnologique de Burden et des nombreux Amérindiens participant au tournage, notamment comme acteurs.
L’acteur principal de The Silent Enemy est un personnage coloré connu sous le nom de Chief Buffalo Child Long Lance au sujet duquel diverses rumeurs circulent bientôt. Il semble en effet que Long Lance ait largement amplifié l’histoire de ses origines amérindiennes…
Un Anglais nommé Grey Owl
Long Lance n’est toutefois pas la seule – ou même la plus connue – personnalité de l’écran à s’être inventé de pittoresques origines amérindiennes. L’un des plus fameux est en effet Grey Owl, né Archibald Belaney, à Hastings (Grande-Bretagne) en 1888. Belaney amorce sa métamorphose vers 1910, alors qu’il épouse une femme autochtone et s’établit dans les forêts du Nord de l’Ontario. Il vivra plus tard au Québec, dans la région de Cabano. Grey Owl publie plusieurs livres à succès, dont Man of the Last Frontier (1931), dans lesquels il fait la promotion de la défense de la nature et des animaux. Le Service des Parcs nationaux du Canada l’embauche comme naturaliste et le fait tourner entre 1928 et 1935 dans plusieurs documentaires réalisés par Bill Oliver. Les images de Grey Owl tournées par Oliver connaîtront une vaste diffusion à travers le monde dans leurs versions sonorisées et remontées par l’Associated Screen News de Montréal. L’image de l’Amérindien proposée par ces films est conforme à un autre stéréotype, celui du noble sauvage communiant avec la nature.
L’Indien dans le cinéma de fiction au Québec
La culture populaire québécoise de l’époque compte un autre bon sauvage : le personnage de Bill Wabo, créé par Claude-Henri Grignon dans le roman Un homme et son péché (1933). Le personnage revient dans le radioroman du même titre, de même que dans les deux longs métrages tirés en 1949 et 1950 par Québec Productions de l’œuvre de Grignon. Ennemi juré du « méchant » Séraphin, Wabo est un personnage positif, très aimé du public. Wabo est un homme épris de liberté vivant en marge du monde des Blancs. Il a un nez aquilin et de longs cheveux noirs qui lui tombent sur les épaules. Wabo s’exprime dans un français assez particulier, avec très peu de mots et, surtout, des phrases incomplètes.
Frères missionnaires et explorateurs
Les images les plus respectueuses de la vraie nature des Amérindiens du Québec tournées au cours de la période 1930-1952 nous viennent des films ethnographiques réalisés par différents cinéastes issus des communautés religieuses, et plus particulièrement par le père Louis-Roger Lafleur (1905-1973). Oblat de Marie-Immaculée, le père Lafleur tourne avec sa Ciné-Kodak 16 mm les premiers documentaires de nature ethnographique sur les Algonquins de l’Abitibi-Témiscamingue. En 1945, il tourne Mœurs des Indiens du Québec, Les Indiens du Témiscamingue et Mgr Comtois chez les Têtes-de-Boule. Il retourne une dernière fois chez les Têtes-de-Boule en 1959 et réalise Les Indiens du Haut-Saint-Maurice.
Par cette démarche, le père Lafleur vise à réhabiliter les Algonquins auprès des Blancs. En pleine époque duplessiste, son cinéma fait preuve d’une vision progressiste des Amérindiens et de leur culture. Certains peuvent dire aujourd’hui qu’il y a une bonne dose de naïveté dans ces portraits, qu’ils sont trop beaux pour ne pas être un peu suspects. Lafleur vient malgré tout rappeler aux Canadiens français, d’une manière bien documentée et chaleureuse, que les Amérindiens font aussi partie de l’« album » de famille, et qu’ils doivent y tenir une place d’honneur.
Le dernier coureur des bois
Au moins un cinéaste laïque s’engage dans une démarche similaire à celle du père Lafleur. Il s’agit de Paul Provencher, connu comme le « dernier coureur des bois ». Jeune ingénieur frais diplômé de l’Université Laval, Provencher part en 1929 explorer la forêt boréale à la recherche de bois à papier pour le Chicago Tribune. Il est guidé dans cette mission par des Montagnais bien adaptés au milieu et héritiers d’un savoir millénaire qu’il va filmer. De ce fait, les images en couleur des Montagnais que rapporte Provencher dans les années 1930 et 1940 sont d’une valeur ethnographique inestimable. Car contrairement aux films de fiction de la même époque mettant en scène des Amérindiens, les films de Provencher témoignent avec justesse des us et coutumes des premières nations.