L'arrivée du cinéma parlant
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La Patrie, 22 septembre 1930, p.5
Source : Bibliothèque et Archives nationale du Québec
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La Patrie, 9 décembre 1930, p.8
Source : Bibliothèque et Archives nationale du Québec
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Le Petit Journal, 11 janvier 1931, p.23
Source : Bibliothèque et Archives nationale du Québec
Des débuts modestes
Si on situe souvent l’arrivée du parlant au point de vue international avec The Jazz Singer (Alan Crosland) en octobre 1927, c’est parce qu’on peut y entendre distinctement quelques mots en plus de la demi-douzaine de chansons. En réalité, la plus grande partie des paroles est lue en intertitres, comme dans les films muets. Il faudra attendre presque trois ans avant que le parlant soit vraiment instauré partout.
Beaucoup de techniques à inventer
Les problèmes techniques posés par le parlant sont nombreux : matériel d’enregistrement encombrant et d’une sonorité souvent criarde, plusieurs systèmes en compétition, difficulté de synchronisation avec l’image, insonorisation des studios, etc. Les coûts liés à la production et à la présentation des films augmentent également de façon importante. Les salles de cinéma doivent notamment se doter de systèmes de reproduction du son, et même de nouveaux projecteurs.
Dans les studios de production, le passage du muet au parlant ne se fait pas instantanément. Dans un premier temps, on ajoute une musique et des bruits d’ambiance à beaucoup de films tournés durant les dernières années du muet. Certains autres sont tournés avec une bande sonore synchrone, mais sans paroles. Finalement, la bande-son comprendra tous les éléments que l’on connaît depuis. Dans les premiers temps du parlant, plusieurs films seront distribués en deux versions : une version muette et une version sonore ou parlante. Puis, à compter de 1932, les salles ne se verront plus offrir que du cinéma parlant.
Lorsque la firme Warner Bros. lance The Jazz Singer, elle utilise le procédé Vitaphone qui consiste en une bande sonore enregistrée sur disque et synchronisée avec l’image. La technique n’est pas pratique d’utilisation, mais c’est celle qui donne à ce moment-là la meilleure qualité. Elle disparaîtra quelques années plus tard au profit des procédés permettant de photographier les ondes sonores directement sur la pellicule, comme le Photophone et le Movietone. Ces procédés éliminent les problèmes de synchronisation, mais ont le défaut de venir gruger une bonne partie de la bande-image sur la pellicule. Les écrans des cinémas deviennent ainsi presque carrés dans les premières années du cinéma parlant, avant que l’on ne parvienne à réduire l’espace occupé par la bande-son sur la pellicule.
Une nouvelle esthétique
L’arrivée du parlant ne signifie pas seulement l’ajout de dialogues : elle transforme en profondeur l’esthétique des films. On ne peut plus bouger la caméra de la même manière et il faut tenir compte des bruits ambiants. La disparition des intertitres modifie le rythme des séquences et la façon d’opérer les transitions. L’interprétation doit se métamorphoser. Si le cinéma muet tenait surtout de l’art du mime (dont Chaplin reste le génie inégalé), le parlant est surtout comparé au théâtre. Les comédiens doivent donc inventer une nouvelle gestuelle tout en apprenant à se « mettre en bouche » des réparties plus élaborées. La phonogénie devient une exigence, tout comme la photogénie l’était déjà. Bien des carrières vont alors se terminer, comme le met si bien en évidence Singing in the Rain (Stanley Donen et Gene Kelly) vingt ans plus tard.
Et la musique…
Sans interruption, ou si peu, les orchestres ou les pianistes du temps du muet suggéraient les bruits d’ambiance et rythmaient l’action tout en évoquant diverses émotions. Dorénavant, la musique n’a plus qu’à inspirer les résonances intérieures des drames ou des comédies. Au début, bien des films en abusent, mais bientôt, on découvre la valeur dramatique du silence. Par ailleurs, la comédie musicale va bientôt s’imposer comme genre incontournable.
La nouvelle technique génère une standardisation du produit. Il n’y a désormais presque plus de variations locales : les spectateurs entendent tous la même chose à travers le monde. Le pouvoir et l’influence des majors se trouvent ainsi renforcés.
Hollywood se fait polyglotte
Autre effet de l’arrivée du parlant, les dirigeants d’Hollywood réalisent très rapidement que leur domination sur le cinéma mondial ne pourra durer s’ils n’offrent pas des versions dans les principales langues des nombreux pays où leurs films se retrouvent. La technique du doublage sera utilisée dès les débuts du parlant, mais au compte-gouttes, et elle ne se généralisera au Québec qu’à compter de 1943.
Entre-temps, dès le début de 1930, la Paramount se met à réaliser simultanément des versions en différentes langues de plusieurs ses productions. Elle le fait à Hollywood, puis elle construit des studios modernes à Joinville, en banlieue de Paris, où des comédiens de diverses langues nationales viennent jouer le même scénario, dans le même décor. Cette façon d’internationaliser le cinéma est cependant abandonnée après quelques années par la Paramount, qui la juge trop coûteuse.
Pendant ce temps, à Montréal
Plusieurs dispositifs permettant – en théorie du moins… – la projection de vues animées dotées de bandes sonores synchrones ont été exploités à Montréal au temps du cinéma dit « muet ». Ces dispositifs présentaient cependant tous des inconvénients de taille faisant que leur succès pouvait au mieux n’être que momentané : sujets limités par les conditions de tournage, synchronisme capricieux, volume sonore insuffisant, etc.
La première salle canadienne à passer définitivement au parlant à la fin des années 1920 est le Palace, sur la rue Sainte-Catherine à Montréal. Le 1er septembre 1928, on y projette Street Angel (Frank Borzage), un film comportant quelques scènes parlées, ainsi qu’un accompagnement musical et des effets sonores synchrones.
À l’automne de 1928, le Palace présente chaque semaine des films sonores, ce qui en fait la salle la plus populaire de Montréal. Elle offre aux cinéphiles The Jazz Singer le 1er décembre. Le 5 janvier 1929, elle annonce son premier film « entièrement parlé », The Terror (Roy Del Ruth). Les publicités du Palace affichent alors fièrement un slogan faisant de celui-ci « Le foyer du film parlé parfait ». Quelques semaines plus tard, à partir du 9 février, on présente au Palace ce qui semble être le premier film parlant tourné au Québec : une actualité Fox montrant l’ouverture de l’Assemblée nationale, avec un discours en français du premier ministre Louis-Alexandre Taschereau.
Des films sonores partout au Québec
Il faut attendre quatre mois après la première de Street Angel au Palace pour voir une seconde salle montréalaise, le Capitol, passer au parlant. Au printemps et à l’été 1929, l’une après l’autre, la majorité des grandes et moyennes villes du Québec se dotent d’équipements sonores, surtout celles qui sont affiliées à l’une ou l’autre des grandes chaînes (Famous Players, United Amusement, Confederation Amusements). La toute nouvelle salle de Sherbrooke, Le Granada, a été conçue pour le parlant et elle présente des films sonores dès février 1929 ; dans cette ville, le Premier offre aussi du parlant dès octobre. À Québec, l’Empire s’y met dès mars et le Canadien et l’Auditorium en mai. À Trois-Rivières, l’Imperial en avril et Le Capitol en juin se convertissent à leur tour. À Montréal, même les salles de quartier comme le Rivoli ou le Corona entrent dans le mouvement. Les nouvelles salles qui sont construites à cette époque, comme le Séville, l’Outremont ou le Granada sont évidemment équipées pour le parlant.
Les programmes des salles demeurent composites
Par ailleurs, si le parlant transforme le spectacle cinématographique, il ne change pas complètement les programmes offerts par les salles. Une grande partie d’entre elles, même parmi les plus importantes, tel le Loew’s de Montréal, continue à présenter du vaudeville (en anglais) et diverses formes de spectacles en plus du film. L’équivalent, en français, dans l’est de la ville, se passe à l’Arcade.
Pendant ce temps, le Roxy, « le foyer du film silencieux » et « cinéma d’art », comme l’affirme sa publicité, est presque le seul à présenter autre chose que du cinéma américain. C’est là qu’est projetée La passion de Jeanne d’Arc de Carl T. Dreyer en juin 1930. Son propriétaire, Charles Lalumière, tarde à s’adapter à la nouvelle mode. Il continue à présenter du cinéma muet différent, venant aussi bien d’Inde, que d’Allemagne, d’Angleterre ou encore de France. Quand c’est possible, il présente ses films avec des intertitres français. À la fin de l’année 1930, il se convertit au parlant avec un film français, Toute sa vie, produit par la Paramount. Robert Hurel, de France-Film achète le Roxy au début de 1931, le renomme Cinéma de Paris et à compter du 14 février, la salle devient le lieu de prédilection du cinéma français pour une décennie.
Les studios français tardent à se convertir au parlant. Ce n’est qu’en 1929 qu’André Hugon tourne Les trois masques, premier film français parlant. Et encore, il va le faire en Angleterre, où il bénéficie d’un meilleur équipement sonore. Dès que le film est disponible, Joseph Cardinal, qui exploite le St-Denis depuis 1925, le retient pour donner une nouvelle vocation à sa salle. Il le projette le 31 mai 1930. Cette date marque la véritable arrivée de la langue française parlée sur les écrans du Québec.